Nassara


Burkina Faso, fin de la saison sèche. Un Blanc entre dans un bar. S’ensuit une discussion animée sur la France.

Année : 2016
Durée : 15 min.
Scénario et réalisation : Charlotte Cayeux
Production : Objectif Prod (Boureima Nyber Nikiema)
Avec : Boureima Ouedraogo, François Fillastre, Roger Tapsoba, Roger Zongo, Abiba Lankoandé

Equipe technique :

assistant réalisateur : Boureima Nyber Nikiema
chef opérateur : Moussa Mohamed Ouedraogo
assistant opérateur : Kevin Tiemtoré
électricien : Afah Mini Soungalo
ingénieur du son : Halassane Sanfo
perchmen : Madi Kiemdé, Emmanuel Ouiya
scripte : Aoua Koussoubé Ouedraogo
maquillage : Cécile Tiendrebeogo
décorateur : Aboubacar Nana
montage image : Charlotte Cayeux
montage son et mixage : Laure Montagnol
étalonnage : Gurvan Hue

Prix :
Meilleur Scénario, festival Cinescale
Meilleur Acteur (Boureima Ouedraogo), SMR13 Indépendant Film Festival

Sélections :

10/2023 : soirée 7ème Vague, La Seyne-Sur-mer, France
08/2022 : festival Cinescale, Paris - Prix du Meilleur Scénario
06/2019 : festival « La Planque », France
04/2019 : festival « Les couleurs du court-métrage », Paris
02/2019 : Projection sur le thème de l’exil, organisée par Apt en Vidéo et l’asso Cent pour un à Viens (France)
11/2018 : Best Comedy on Moviescreenpro Film Festival (USA)
04/2018 : Social Film Festival Artelesia (Italie)
04/2018 : All Shorts Irvington Film Festival (USA)
04/2018 : Festival du Film Francophone de Velaux V3F (France)
01/2018 : Festival International de Films Non-Professionnels « Kochać człowieka » (Pologne)
11/2017 : Muestra Internacional de cortometraje solidario y sensiblización de Ciudad Real (Espagne)
11/2017 : SMR13 International Independent Film Festival (France) – Prix Meilleur Acteur
10/2017 : Festival Protesta, hors compétition (Espagne)
09/2017 : Festival de cine de los Derechos Humanos Cineotro (Chili)
09/2017 : Festival Visualízam Audiovisual & Mujer (Espagne)
09/2017 : Festival Cinemabrut (Paris)
08/2017 : Charlie Chaplin Comedy Film Festival (Irlande)
07/2017 : Festival Internacional de cine y video Kayche’ Tejidos Visuales (Mexique)
06/2017 : NCF Short Festival (France)
06/2017 : Caribbean Film Festival & Market (Bahamas)
06/2017 : River Film Festival (Italie)
05/2017 : Near Nazareth Festival (Israël)
05/2017 : Lady’s First International Film Festival (Irlande)
05/2017 : Best Shorts on Moviescreenpro (USA)
04/2017 : Dawson City International Short Film Festival (Canada)
04/2017 : Festival International du Film Panafricain de Cannes (France)
03/2017 : Festival Solo para cortos (Espagne)
01/2017 : First Friday Film Festival (Kansas City, USA)
12/2016 : 12 Months Films Festival (Roumanie) – Prix : Screenwriter of the Month
12/2016 : Mediterranean Film Festival (Italie)
12/2016 : Chhatrapati Shivaji International Film Festival (Inde)

Autres diffusions :

19/01/19 : projection dans le cadre du Bar Zines 10 au CICP (Centre International de Culture Populaire), Paris 11
16/09/2016 : projection au Holy Holster, Paris 11è
15/09/2016 : projection à la Capela, Paris 10è, dans le cadre du festival H264
26/09/2016 : diffusion sur Télé Bocal

Une scène

« Presque, Léa, c’était presque ça ! »

Le visage d’Antoine Guillemin, jusqu’ici concentré, s’est animé brusquement après le mot « Coupez ! ».

Antoine Guillemin est cinéaste. Il cherche le geste vrai, traque le détail juste, poursuit une image fuyante ; c’est un travail de longue haleine. Au fil des répétitions, on peut l’observer tantôt silencieux, l’œil fixe, les traits du visage tendus par l’attention soutenue, l’expression immobilisée par l’idée fixe qui le travaille ; tantôt volubile, la voix haute et le geste ample. A certains moments, la concentration du visage se relâche imperceptiblement : c’est la dixième fois que l’actrice joue la scène, et on dirait qu’elle stagne. D’autres fois, la surprise fait briller son regard, fugitivement, car très vite est acquise comme une évidence la nouveauté et il faut chercher mieux, ne pas se contenter : un geste auquel il ne s’attendait plus.
Parfois, la parole d’Antoine jaillit et se déverse à flots ininterrompus, comme une certitude. Alors il porte la voix, articule les syllabes, appuie les mots essentiels, explique. Mais il arrive également que le doute s’empare de lui : alors le débit de la voix s’alentit, le volume baisse, des silences ponctuent les phrases. Et, à l’intérieur de ce schéma qui alterne le silence et le bruit, d’infimes variations. Elles révèlent le travail en cours, le processus de création, la fragilité de l’échange.

Face à Antoine il y a Léa, la jeune actrice. Elle est pleine d’entrain à l’idée de jouer. Elle a l’enthousiasme de la jeunesse qui voit l’avenir devant elle, et confiance en ses possibilités. Elle s’est présentée à lui rieuse, légère, pressée de s’adonner au plaisir du jeu, des répétitions. Il a hésité : elle est jolie, comme le veut le personnage. Elle est fraîche, elle sera travailleuse ; peut-être trop lisse, trop frivole ? Ou trop appliquée ? Il a un doute mais prend le risque, conduit par une intuition favorable.

C’est une scène muette. Quelques gestes, seulement, qui s’enchaînent. Des gestes qu’elle a répétés en boucle. La première fois, elle leur a donné un sens spontané, mais creux : elle était une fille, dans un bar, qui boit une bière. Une fille comme beaucoup d’autres filles dans les cafés, qui s’amuse, parfois s’ennuie, qui est toute à l’instant présent. Et puis, pour surmonter les idées toutes faites, porter un regard vierge sur le personnage, il a fallu retrancher : reproduire l’enchaînement des gestes, sans intention préalable, sans fioritures, de la façon la plus mécanique, à la manière de Jean Renoir. Elle répète ces gestes qui ne sont plus que des mouvements dénués de sens, de vie : prendre le verre, l’amener à ses lèvres, en boire une gorgée, le reposer, s’essuyer les lèvres de la main, regarder dans le vide, fixer un point en direction duquel sourire, c’est-à-dire, imprimer aux lèvres un mouvement vers le haut, détourner le regard, un instant, en replaçant une mèche de cheveux derrière l’oreille, et, de nouveau, regarder vers ce point, et sourire. Tenter de ne pas donner une signification, une portée aussi réduite soit-elle à ces gestes est un travail difficile. Un processus de dénudation qui consiste à se dépouiller un à un des oripeaux de l’émotion.
A la fin, après avoir reproduit la scène une dizaine de fois, Léa n’exprime presque plus rien. Mais même alors, il y a un résidu de quelque chose, d’un désir, à peine perceptible, dont Antoine Guillemin renonce à la défaire.

Et puis, sur le vide relatif, peu à peu, on peut construire le personnage.
Antoine Guillemin n’a pas encore donné à lire le scénario à Léa. Par bribes, il lui livre quelques informations sur le personnage, la situation. Une jeune fille, dans un bar. Qui multiplie les aventures. Ce soir-là, une fois de plus, elle partira avec un garçon qui la drague. Pour l’instant, elle est seule, bien qu’entourée, accoudée au comptoir. Il y a beaucoup de bruit : de la musique, assez fort, du rock’n'roll, quelque chose d’entraînant, d’énergique. Les gens parlent, rient, assez nombreux pour qu’on ne puisse qu’avec difficulté suivre l’une ou l’autre des conversations qui se tiennent.
Elle est là, juchée sur un haut tabouret, parmi un petit groupe de personnes qui font cercle. Mais à ce moment-là, elle s’est détachée de la conversation, on dirait qu’elle s’est abstraite du groupe. Il y a un contraste frappant entre sa présence et celle des autres.

Mais, pour le moment, Antoine et Léa se trouvent dans une chambre aménagée en salle de répétition, il n’y a ni bar, ni musique, et personne d’autre qu’eux et le caméraman. Pour l’actrice et le cinéaste, il s’agit d’imaginer une scène qui probablement ne prendra véritablement vie qu’au montage. Pendant le tournage, on triche, on imagine encore. Léa est assise sur une chaise, à côté d’un bureau ; elle dispose d’un verre et de ce qu’elle saisit peu à peu du personnage.

Dans un premier temps, se concentrer sur un aspect du personnage : l’assurance, la séduction. Ne l’envisager d’abord que comme une fille consciente de son pouvoir de séduction. Léa rejoue la scène plusieurs fois, le temps d’intégrer son rôle, qu’il justifie chaque geste. Chacun de ses mouvements exprime une sensualité assumée. La façon qu’elle a de passer la main sur ses lèvres, d’un geste alangui, et de laisser retomber le bras, de le laisser prendre son élan et, tout à coup, se retenir un peu, puis redescendre progressivement, comme s’il prenait conscience de son poids, de sa présence au monde, à l’espace autour d’elle. Et puis, le regard un peu trouble lorsqu’elle aperçoit l’homme hors-champ, dont on ne saura rien, qui n’est peut-être qu’une représentation de la virilité, et le sourire qui s’épanouit et se rétracte avec une lenteur envoûtante. Il y a du pouvoir dans ce regard qui fixe l’autre droit dans les yeux, et l’entraîne.

Mais ce n’est pas elle, Anna, le personnage à qui Antoine a donné vie à l’intérieur d’un scénario, et qu’il s’agit maintenant de faire exister en chair et en os. Elle n’a pas un caractère aussi tranché, ses attitudes ne sont pas univoques. Derrière l’assurance, on pressent la tristesse ; derrière la séduction, le sentiment peut-être d’être méprisée. C’est cela qui a besoin d’être nuancé, qui fait coïncider des sentiments d’apparence contradictoires, qui intéresse Antoine. Alors, geste après geste, il faut retravailler, instiller le doute, la gravité dessous ce qui paraissait anodin. Ne pas reposer le verre simplement ; attendre un peu, un instant seulement, la main enveloppant toujours le verre déjà reposé. Exprimer une fatigue du corps, une difficulté à peine palpable à enchaîner les gestes. Quand elle s’essuie les lèvres, suspendre le mouvement, comme un équilibre précaire, le corps prêt à basculer d’un côté ou de l’autre : continuer ou s’effondrer.
Le sourire : pas un franc sourire de triomphe, mais un sourire qui contienne aussi de la mélancolie, dont la séduction soit à la fois victoire et démission.
Geste après geste, le personnage se transforme, change de couleur, se complexifie. Il y a l’assurance affichée, et une fragilité plus enfouie, qui se décèle si l’on y prend garde, si l’on observe attentivement. Il y a quelque chose d’infime qui nous dit qu’il se joue, dans ce jeu de séduction, un drame sans éclat et sans bruit.

Anna commence à exister. Et puis, Léa rejoue la scène, en entier. Sa durée s’est étirée. Léa lui imprime un rythme nouveau, fait d’attentes, d’hésitations, d’une certaine pesanteur. Antoine imagine le plan, la caméra fixe et, au moment où Anna porte la main à ses lèvres, un zoom avant, et le visage de Léa en gros plan. Et puis, de nouveau, le cadre s’immobilise, jusqu’à la fin. Il entend les bruits diégétiques, la musique, les voix, qui diminuent après le zoom, et en même temps qu’un gros plan du visage, c’est un gros plan sonore dans lequel résonnent, tout à coup, les soupirs d’Anna, le bruit des cheveux qu’elle effleure, le contact de la peau en une caresse fugitive.

« C’était vraiment bien, c’était ça ! »
Antoine s’étonne de la justesse de Léa qui l’a devancé, qui a eu l’intuition de ce qu’il cherchait. Il est sûr, maintenant, qu’elle sera Anna. Anna et Léa se confondent dans son imaginaire comme une certitude, et c’est à une seconde naissance de son personnage qu’il assiste.

La répétition est finie, Léa quitte le rôle d’Anna et reprend celui d’une jeune actrice de bonne volonté flattée d’avoir été choisie parmi tant d’autres. Il s’est passé beaucoup de choses pendant ces quelques heures, Antoine en ressort affermi dans ses convictions de cinéaste. Il garde aussi, ténue au fond de lui, une amertume légère de sentir Anna disparaître derrière Léa, se réfugier de nouveau au fond de son esprit. Il sait que lorsqu’elle en ressortira, ce sera pour intégrer une nouvelle prison - celle du film.

Charlotte Cayeux

Salope

Nouvelle publiée au sein du recueil collectif Les femmes nous parlent paru aux éditions Phénix d’Azur

On avait commencé la soirée dans un café du XIème, Mat, volubile, parlant de lui, Julien faisant des blagues douteuses, Pierre écoutant, silencieux et souriant. A minuit Mat déjà saoul nous enjoint de le suivre, commençant de hausser la voix, chassé par le patron pour l’avoir provoqué sûrement d’une remarque déplacée – une mauvaise habitude – et je les suis sans vraiment le vouloir mais comme toujours malgré moi attirée. On se retrouve une fois de plus à la Cantada, ouverte jusqu’au petit matin. Mat m’apporte un verre que je n’ai pas demandé. Nous voilà de nouveau installés autour d’une table, sans grand chose à nous dire. Par moments l’un d’entre eux prononce une phrase qui retombe vite dans un silence fatigué. Je remarque les traits tirés de Pierre, le teint grisâtre de Julien, Mat lance des regards aux quatre coins de la salle. Autour de nous c’est une ambiance tapageuse, la musique envoie ses décibels, le martèlement des basses et son rythme effréné, les couleurs criardes me blessent les yeux et les allées et venues incessantes des clients du bar à l’arrière-salle et de l’arrière-salle au bar achèvent de m’étourdir. Pierre se met à parler. Je n’écoute pas, je le laisse à son monologue. J’évite son regard. Les conversations me fatiguent. Maintenant je laisse mon esprit vagabonder sans plus tenter de le fixer nulle part. Le flou m’envahit. Puis Mat me tape sur l’épaule et m’entraîne sur la piste de danse. Au moment où je me lève je sens ma tête qui tourne, le décor pencher dangereusement, je suis Mat en équilibre instable, je me laisse guider, je n’ai plus envie de décider de rien. Je m’en remets aux autres et aux évènements. Je me laisse submerger par la musique, les lumières. Mes sens s’aiguisent à mesure que mon esprit s’engourdit. Je laisse les vibrations pénétrer dans ma chair, les pulsations dans mon cœur, je sens chaque endroit de mon corps avec plus d’acuité. Je me réconcilie avec lui. Mes bras et mes jambes suivent la cadence, je n’ai pas besoin de leur dire quoi faire. Souvent j’ai senti mes membres me trahir. Souvent je les ai sentis vivre d’une vie indépendante, mais d’une vie amoindrie, engoncés. Cette nuit il n’y a plus de frontière et je ne fais qu’un avec moi-même. Je ne pense à rien d’autre qu’à la sensation de mon corps. Mat me sourit. Ses yeux s’éclairent. Nous dansons de conserve, en harmonie avec les autres corps. Je n’ai plus la moindre défiance envers ces inconnus, j’oublie ce qui nous sépare, ce qui nous éloigne, je ne sens que nos sensations communes. Par moments je croise des regards qui s’attardent sur moi un instant, je m’offre à eux, prenant plaisir à leur frôlement. Une sorte de voile léger m’enveloppe et me protège du monde alentour. Un sentiment de puissance sourde m’étreint. J’occupe l’espace. Je lui impose ma présence. Je me déploie avec plus de largeur, d’ampleur dans les mouvements. Bientôt je me contorsionne au rythme de la musique qui s’emporte, pliant sous ses heurts, m’étourdissant, me laissant habiter par les soubresauts et les sonorités de la musique. Puis elle s’estompe et les mouvements de mon corps s’alanguissent. Je reviens à la réalité du lieu. Je jette un regard autour de moi. Je croise le sien. Je reçois l’intensité de son désir, je ne peux pas y échapper. La musique reprend mais je me dirige vers le bar, troublée par ce regard. La fatigue de la danse s’abat d’un coup sur moi. Je m’assois. Je commande un verre. Il m’a suivie. Il se rapproche. J’avale le shot. Sans que je le regarde je sens ses yeux sur moi. Il cherche à capter mon regard. Je prend conscience plus intensément de mon corps de mon visage. Je m’offre à lui. Je prends plaisir à être vue. Je le laisse approcher de moi, m’effleurer. Je sais exactement ce qui va se passer. Je me sais libre de laisser les choses se dérouler, ou non. J’attends que ça arrive.
Je n’ai pas bien conscience de la façon dont cela se passe mais me voilà tout d’un coup dans les bras de l’homme, embrassée par l’homme, me livrant à corps perdu à son étreinte et à sa bouche, consciente d’être livrée en même temps aux regards, y prenant un plaisir extrême. Mat m’a vue. Je referme les yeux. Puis le voilà tout près de moi. Je m’écarte un peu pour reprendre mon souffle, Mat en profite pour m’attirer à lui, m’arracher aux bras de l’homme, me mettre en garde contre son air louche et mon degré d’alcoolémie. Je n’ai que faire de ses conseils. Je me détourne de lui pour commander un autre verre. Puis je jette un œil en arrière, et je vois l’homme, il discute avec une fille. A distance je perçois la lueur lubrique dans son regard. Il ne me plait pas. Il a l’air d’un type prêt à tout. Je cherche mes amis. Une sensation légèrement nauséeuse me dissuade de me lever. Le voilà qui revient vers moi. Il me dit de le suivre, je décline sans conviction. Il insiste. Il pose ses mains sur moi. Je sens son haleine de bière. Je le suis.
Il ouvre la porte et le froid s’abat sur moi, brisant d’un coup la douce torpeur qui m’enveloppait à l’intérieur. Dehors les choses apparaissent plus crûment, plus laides, sans le secours du bruit et des lumières artificielles. Dehors le jeu de séduction ne cache plus le vulgaire appétit, je sens ses mains qui palpent, sa langue qu’il enfonce dans ma bouche, le contact d’un corps étranger. Je le laisse faire. J’aime être désirée. Il me presse de le suivre, il a un bar non loin d’ici, nous y serons tranquilles. Je ne veux pas. Il insiste. J’hésite. Il se fait plus pressant. Je n’ai pas le temps de réfléchir qu’il m’entraîne dans une rue parallèle et je le suis sans volonté, c’est tellement simple de suivre.
Il me fait entrer dans son bar. J’entends le bruit métallique du rideau qui redescend automatiquement derrière moi. La lumière s’allume, éclairant une petite salle, quelques tables, un bar de quartier simple et sobre. Je me retourne face au rideau baissé, le regard arrêté, mon horizon soudain rétréci à ces quatre murs et à cet homme que je ne connais pas, à son objectif. Il a mis de la musique et nous a servi deux bières. J’avale quelques gorgées. Le voilà sur moi de nouveau. Alors qu’il m’embrasse je sens la nausée me reprendre, un dégoût de l’alcool et de l’homme me submerge, de plus en plus fort, je vais vomir, je demande où sont les toilettes. Il ne veut pas me lâcher. Il se colle à moi davantage. Je lui dis que je vais vomir. Il me regarde méchamment. Il dit que je mens. Le voilà qui parle des femmes. Son contact et ses mots m’écoeurent, je le repousse, je pars à la recherche des toilettes, il me suit et alors que je me penche sur la cuvette pour vomir il est toujours là derrière moi, ses mains tentant de me ramener à lui, et je dégueule sous le regard de ce type, je vomis mon dégoût de ses mains et de son sexe, de son regard qui me méprise, de son désir, de moi-même objet de son désir, de son mépris.
Je me redresse, je titube, je passe devant lui en évitant son regard et ses mains, je retourne dans la salle chercher mon sac et mes affaires avec l’envie de m’enfuir au plus vite, respirer dehors, marcher dans les rues, me retrouver seule. Mais il me suit. Il se colle à moi de nouveau. Je lui dis que je me sens mal et que je veux rentrer chez moi. Alors je vois la haine dans son regard, une haine immense qui grandit et qui me paralyse, il me dit : maintenant que tu es là, tu ne crois quand-même pas que tu vas repartir comme ça, et je prends conscience que je suis enfermée, je sens l’espace se refermer autour de moi, ma tête tourner de plus en plus, il dit que je suis une salope.
Confusément j’entrevois la suite. Je pense qu’il va me violer, jouissant de me contraindre, et je vois déjà luire dans son regard le plaisir de me voir sans défense. Je vois sa haine et son désir ne faire qu’un. J’ai peur d’avoir mal. Mon corps ne m’appartient pas il est moi, je n’existe pas en dehors de lui, toute atteinte à mon corps est une atteinte à mon être. Je sens cela confusément, sans le formuler, je n’ai jamais autant senti cela.
Des secondes, des minutes passent il est là face à moi me fixant de son regard plein de menaces il parle et je n’entends plus les mots qu’il prononce, je le vois trépigner, grimacer de colère, je vois un petit homme impuissant qui veut posséder, dominer. Brutalement il m’agrippe. Me voilà écrasée par ses bras qui m’enserrent, écrasée par ces quatre murs qui m’entourent, prisonnière de mon corps. Une peur vague et un dégoût profond, précis m’envahissent.
Puis j’entends au-dehors des gens qui marchent, des gens qui parlent, et je me rappelle qu’il y a de la vie encore dans les rues de Paris. Alors je me mets à frapper, de toutes mes forces, sur le rideau métallique, dans un bruit assourdissant qui couvre sa voix qui m’ordonne d’arrêter, et ses yeux furibonds maintenant lancent des éclairs, j’y réponds en frappant plus fort et c’est lui ainsi que j’assomme.
Alors il me saisit le poignet et me traîne jusqu’au fond du bar, derrière les toilettes, et je me vois livrée à lui, à sa haine qui décuple ses forces, incapable de m’y soustraire, mais soudain il ouvre une porte et me pousse dehors, et avant de la refermer, « Allez, tire-toi, salope », me crache ces mots à la figure.
Je me retrouve dans une rue de Paris déserte, aux premières lueurs de l’aube, le corps engourdi par le froid.
Je marche une heure, à toute vitesse, avant de m’écrouler sur mon lit.
Je me réveille avec un goût amer dans la bouche, et l’odeur persistante de son haleine.

Charlotte Cayeux

A Gun for Jennifer et le Rape & Revenge

Naissance d’un genre

Plus qu’un sous-genre du film d’auto-défense, tel qu’il se développera surtout dans les années 70, le Rape & Revenge recouvre tous les films mettant en scène la perpétration d’un viol puis sa vengeance, soit par un tiers (souvent le mari ou le père), soit par la victime elle-même (le cas le plus fréquent) voire par un groupe de femmes.
Le premier film répertorié dont le récit fonctionne sur ce schéma est un western américain de John Sturges, Le dernier train de Gun Hill, réalisé en 1959. L’année suivante le réalisateur suédois Ingmar Bergman (figure majeure du « cinéma d’auteur ») réalise La Source, film moyenâgeux dans lequel un riche paysan venge sa fille violée et tuée par des bergers en les assassinant. Le récit de Bergman inspirera à Wes Craven dix ans plus tard La dernière maison sur la gauche, dans le registre cette fois du film d’horreur. Autant dire que le R&R est investi par tous les genres cinématographiques, films d’auteur ou d’exploitation. A signaler dans le domaine du fantastique le peu connu mais superbe Kuroneko (The Black Cat, 1968), film japonais de Kaneto Shindo dans lequel une femme et sa belle-fille violées et assassinées par des samouraïs renaissent pour se venger sous la forme d’esprits-chats.

Par la suite, dans les années 70 et 80 surtout, le R&R prolifère dans le cinéma d’exploitation en tant que sous-genre du film d’auto-défense. Les plus emblématiques de cette vague de films étant Thriller : a cruel picture (aka They Call Her One Eye), réalisé en 1973 par Bo Arne Vibenius et Day of the woman (connu aussi sous les titres I spit on your grave et Œil pour œil), réalisé en 1978 par Meir Zarchi.
Day of the woman apparaît comme l’archétype de ce genre de films, son récit étant entièrement resserré autour des deux événements que sont le viol et la vengeance. Après une première partie introductive qui nous montre l’arrivée dans un village de Jennifer, écrivaine venue se ressourcer à la campagne, et sa première rencontre avec certains des hommes qui la violeront, la deuxième partie nous impose quatre scènes de viol successives, et la troisième se concentre sur les actes de vengeance de Jennifer qui torture et assassine un à un ses agresseurs. La sobriété du récit (très concentré également dans le temps et dans l’espace) est doublée d’une sobriété de la mise en scène assez frappante. Pas de musique, très peu de dialogues, très peu de gros plans, et des scènes de violence qui s’étirent sans artifices. On notera que les actes de la partie « vengeance » sont traités visuellement (et en termes de durée) de la même façon que les scènes de viol, le film les renvoyant dos à dos et montrant l’horreur de la façon la plus crue.

En 1981, Abel Ferrara investit le R&R dans un cinéma un peu plus mainstream avec L’Ange de la vengeance. Comme Day of the woman et un certain nombre d’autres films du genre, le film de Ferrara interroge le rapport des femmes à leur féminité et au désir qu’elles inspirent, puisque cette féminité qui les met en danger est précisément l’arme qu’elles utiliseront pour attirer les hommes et exercer leur vengeance.
Dans L’Ange de la vengeance, Thana utilise les codes les plus stéréotypés de la séduction féminine, se déguisant sous un maquillage et des tenues outrancières afin de provoquer et piéger les hommes, qu’elle percevra bientôt tous comme des agresseurs potentiels. Dans Day of the woman, les trois parties du récit correspondent aussi à une évolution du corps de Jennifer. Au début du film, il est mis en valeur dans sa féminité et son adhérence à l’environnement : lors de la scène à la station-service où elle rencontre pour la première fois plusieurs de ses agresseurs, son attitude (elle va et vient tranquillement pour se dégourdir les jambes, avec des gestes souples, souriant en voyant les deux hommes qui jouent comme des enfants et discutant d’un ton jovial mais ferme) et son apparence physique (robe d’été légère et courte, cheveux coiffés à l’arrière, rouge à lèvres vif et chaussures à talons…) expriment une assurance calme et une sensualité épanouie. Dans la deuxième partie du film le corps de Jennifer est réellement mis en scène comme celui d’une bête traquée, la métaphore de la chasse étant d’emblée suggérée par le contexte de la forêt, la présence du groupe d’hommes et le piège qu’ils tendent à Jennifer (métaphore qui est d’ailleurs traitée de façon littérale dans La Traque de Serge Leroy (1975), excellent film français qui met en scène un personnage féminin traqué par un groupe de chasseurs après avoir été violé par deux d’entre eux). La corpulence de l’actrice, grande et maigre, et ses longs cheveux défaits accentuent cette impression d’un corps sauvage contrastant avec le corps sophistiqué de la première partie. La façon dont elle traîne son corps en sang après les deux premiers viols la rapproche aussi de la figure du zombie. Dans la troisième partie, c’est le retour au corps sophistiqué du début avec les conséquences de ce qui s’est passé entre temps : c’est maintenant un corps volontairement aguicheur qu’exhibe Jennifer (comme le suggère ce geste d’entortiller une mèche de cheveux dans une attitude fortement séductrice, et cette expression de froid calcul, lorsqu’elle vient chercher à la station-service le meneur qui subira sa vengeance), consciente des pouvoirs qu’il lui procure, dans le but d’appâter ses agresseurs.

On retrouve aussi dans le film de Ferrara comme dans Thriller une figure récurrente du genre : le personnage de la femme muette (comme celle du Lady Snowblood de Toshya Fujita (1973), qui n’est pas à proprement parler un R&R mais s’en rapproche et a inspiré à Tarantino l’héroïne de Kill Bill) figurant l’impossibilité d’un dialogue avec l’agresseur et créant une tension supplémentaire. Privées de la parole et physiquement assujetties, doublements impuissantes, leur révolte ne pourra prendre qu’une forme particulièrement violente.

A Gun for Jennifer, cri de rage féministe

S’inscrivant dans cette tradition du R&R, A Gun for Jennifer voit le jour en 1996. Et c’est sans doute le plus viscéralement féministe. La raison principale en est que, s’il a été co-écrit et réalisé par son compagnon Todd Morris, l’idée part de l’expérience de strip-teaseuse de Deborah Twiss, actrice principale, productrice et co-scénariste du film, et de son dégoût profond :

Il y a quelques années, j’ai perdu un bon job dans la restauration car je n’arrêtais pas de partir pour pouvoir répéter une pièce. J’ai donc dû trouver rapidement un autre job qui me procure assez d’argent pour vivre à New-York et soit assez flexible par rapport à mon emploi du temps d’actrice. Un ami m’a alors parlé de ce bar à strip-tease. De l’extérieur, le strip-tease semblait un travail facile qui résoudrait mes problèmes financiers. Mais les six premiers mois ont été un cauchemar. Je pleurais tous les matins avant d’aller au bar, et tous les soirs en rentrant. Je ne pouvais croire que la plupart des hommes dans le club soient aussi dégoûtants. Ils semblaient venir là uniquement pour harceler et avilir les danseuses. Peut-être avaient-ils besoin d’un exutoire aux frustrations causées par leur travail ou leur vie de famille mais pour moi, il semblait qu’ils détestaient simplement les femmes. Je voulais vraiment partir mais j’avais trop besoin d’argent. Et je me disais que si les autres femmes (qui dansaient depuis plus longtemps que moi) pouvaient le faire, alors je le pouvais aussi. Mais pendant une nuit particulièrement glauque ce connard m’a dit quelque chose de vraiment dégoûtant et j’ai craqué et couru dans le vestiaire en sanglotant. Je n’ai pas pu m’arrêter de pleurer jusqu’à ce que je m’imagine partant avec un gang de femmes en colère pour traquer les connards comme ce type et leur donner une terrible leçon. J’en ai parlé à Todd en plaisantant, mais il a pensé que c’était une bonne idée de film.(1)

Faire ce film est donc un besoin véritable, une façon de se venger elle-même et ses consœurs par le recours à la fiction, une catharsis. Deborah Twiss écrit une première version du scénario un peu trop bavarde (elle vient du théâtre) reprenant cette idée d’un gang de femmes vengeresses et ce contexte qu’elle connaît bien d’un bar à strip-tease. Todd Morris retravaille le scénario en élaguant un peu les dialogues, apportant le personnage de la femme flic et l’aspect policier.

Après avoir tué son mari qui la battait, Allison (Deborah Twiss) quitte l’Ohio et débarque à New-York. Peu de temps après son arrivée, elle est victime d’une agression dans la rue. Un groupe de femmes surgit et se jette sur les agresseurs, empêchant le viol de justesse. Elles tuent deux des hommes. L’une d’entre elles tend son arme à Allison et l’enjoint d’abattre le dernier agresseur. Allison d’abord refuse puis finit par tirer. S’étant rebaptisée Jennifer, elle intègre la bande de vigilantes qui castrent et tuent des violeurs, et dont le QG est le bar à strip-tease dans lequel elles travaillent. De son côté, une femme-flic, Billie Perez, mène l’enquête, pressentant que les meurtres qui s’enchaînent sont le fait d’un groupe de femmes vengeresses et se heurtant à l’incrédulité et aux préjugés machistes de ses collègues hommes, de plus en plus tiraillée entre sa fonction de flic et son statut de femme.
Dans un court article consacré au film à sa sortie, et après en avoir salué l’humour, la radicalité et le côté disons spontané (« du cadrage approximatif au jeu à l’emporte-pièces des acteurs »), un journaliste de Libération regrettera l’alliance finale entre la flic et le groupe de femmes :

Toutes ces excellentes choses étant dites, on peut cependant discuter le dénouement de A Gun for Jennifer, qui semble célébrer la sainte alliance entre la fliquesse et les justicières, sous le prétexte un peu mince qu’elles sont toutes des femmes biologiques. Ce qui est assez con pour tout le monde, très insultant pour les femmes et révoltant pour les folles (et autres radicales). (2)

Point de vue plutôt sympathique, mais si le film interroge la notion de justice, mettant en parallèle vengeance et punition légale, je ne pense pas qu’il préconise en réalité ni la vengeance individuelle, ni le recours à la police. Ses auteurs en tout cas avaient plutôt le désir de montrer que « la violence a de terribles conséquences » (celle que subissent les femmes en l’occurrence), et Deborah Twiss espérait que le spectateur se dise après avoir vu le film qu’on ne peut combattre la violence par la violence, la prison ou la peine de mort n’étant que des produits de la violence, et que la seule « solution » véritable réside dans l’éducation. (3)

Armé de ce scénario sorti des tripes, et après un an et demi d’écriture, le couple devra mener un véritable parcours du combattant et attendre encore trois ans pour le réaliser.
Lors d’une de ses nuits de strip-teaseuse (en 1993), Deborah Twiss fait la connaissance d’un client qui lui offre à boire et lui pose des questions sur sa vie. Mise en confiance par cet homme apparemment très sympathique, elle finit par évoquer son projet de film. L’homme travaille pour une grande société japonaise qui souhaite justement investir dans le cinéma. Il revient quelques semaines plus tard et lui apprend que la société en question est intéressée par le projet. Et puis il signe un premier chèque de 10.000 dollars. Todd Morris rencontre l’homme qui lui inspire confiance. C’est en plein milieu du tournage que Twiss et Morris découvrent que l’argent donné par ce mystérieux donateur est de l’argent détourné à la société japonaise, qui les poursuit en justice et menace de les envoyer en prison. S’ensuit six mois de bataille juridique qu’ils devront financer avec l’argent mis de côté pour la post-production. Finalement et de façon particulièrement ironique, Deborah Twiss devra retourner travailler dans le bar à strip-tease pour finir le film.

Avec sa réalisation un peu amateure et son économie de moyens, Todd Morris cherche à retrouver l’esprit des séries B des années 70. Un style brut, sans fioritures, qui colle bien à l’aspect « crade » de son sujet et d’où émane une certaine authenticité. D’où le choix par exemple de tourner en 16 mm avec peu d’éclairages pour obtenir une image un peu granuleuse, et une relative liberté d’improvisation laissée aux actrices (aspirantes comédiennes non professionnelles, à l’exception de Benja Kay qui joue la flic).
Todd Morris est influencé par ses lectures de romans policiers et par un certain nombre de flics de séries : Kojak, Baretta, Starsky et Hutch… L’idée est de reprendre les codes du film noir traditionnel en les inversant : donner les rôles principaux à des femmes, aussi fortes et violentes si ce n’est beaucoup plus que les habituels anti-héros masculins.
A noter que l’acteur qui interprète le lieutenant Rizzo est un ancien flic et qu’il apporte une certaine véracité dans la représentation de la police.

En-dehors de cet aspect policier, A Gun for Jennifer se distingue d’un R&R plus classique par la dimension collective de la vengeance et par la représentation d’un groupe de femmes organisées à la façon d’un groupe militant. Cette union de femmes bafouées se regroupant pour se débarrasser de leurs oppresseurs confère au film une dimension politique évidente, alors que dans beaucoup d’autres la vengeance est affaire individuelle. On notera aussi parmi les cibles principales du groupe des politiciens et des hommes d’affaire, bref des violeurs friqués et représentants du pouvoir.
La B.O du film est composée principalement de morceaux de groupes punk/hardcore DIY féminins comme Tribe 8, Fifth Column ou Sincola, pour la plupart des groupes de female power sortis par le label new-yorkais GIRLY ACTION. La musique est très présente et infuse au film son énergie punk avec notamment la performance du groupe lesbien Tribe 8, l’un des premiers groupes « queercore », dans la séquence du concert auquel assistent Jennifer et ses copines et où la chanteuse arbore un faux phallus qu’elle coupe devant une foule de spectatrices en transe.
Le film se termine sur la mention « Long live indie film » suivie d’un A cerclé.

Malgré son appartenance à un cinéma underground, A Gun for Jennifer fera parler de lui à sa sortie, y compris dans des journaux mainstream (Libé, Les Inrocks…). Le côté cathartique fonctionne à merveille dans les festivals où le public réagit et applaudit avec enthousiasme. Et si les distributeurs américains sont trop frileux pour ce film provocateur et violent, il sera distribué à l’étranger et notamment en France où il est diffusé en salles pendant dix-huit semaines, distribution assez exceptionnelle au regard de la production du film.

Éthique et esthétique

Le R&R comme tous les films d’auto-défense pose des questions d’ordre éthique. Par son exaltation de la vengeance comme acte libérateur, il peut frôler assez vite un discours totalement réactionnaire, voire pire, autour des notions de punition, de peine de mort et de l’idée d’une justice individuelle suppléant à une justice d’État trop « laxiste ». La figure du violeur, détestable s’il en est et généralement détachée de toute individualité (le violeur n’intervient dans le film qu’en tant que violeur) est aussi propice à cristalliser la haine des spectateurs. Je pense par exemple au Boulevard de la mort de Tarantino, où la figure du sale type permet une adhésion du spectateur à la vengeance sans la moindre distance. Quand en plus ça se veut fun et qu’il manque la sincérité, on frôle vite l’abject. Des films comme Sympathy for Lady Vengeance de Park Chan-Wook (où l’on a affaire à un tueur d’enfants) virent carrément à la torture décomplexée.

Éthique et esthétique sont toujours liées et quelque soit le sujet du film, c’est son point de vue (à travers le récit mais aussi les choix de cadrage) qui le rend ou non acceptable.
Day of the woman constitue un bon exemple sur l’importance du point de vue, en particulier dans la représentation du viol, certains choix de cadrage permettant d’éviter l’obscénité.
La première scène de viol alterne gros plans des visages du violeur et de Jennifer, plans rapprochés avec les deux personnages dans le cadre et quelques plans des deux autres personnages masculins qui participent au viol en maintenant la femme immobile. Les corps n’étant filmés en plans larges qu’avant et après le viol, celui-ci ne risque pas d’être érotisé. A l’opposé de son effet habituel, le champ-contrechamp semble exprimer ici l’annulation de tout échange possible entre l’homme et la femme. Le découpage ne privilégie pas le point de vue de l’un ou de l’autre mais figure la séparation radicale. Les plans sur les deux autres « participants » renforcent l’horreur de la scène, posant la question de la responsabilité et du passage à l’acte (et à la barbarie) : on perçoit à leur expression gênée qu’ils ont encore un semblant de conscience, pourtant ils participent à la scène et prendront plus tard chacun leur tour la place du violeur. La figure en particulier de Mattew, le garçon un peu débile que les autres veulent déniaiser et qui est le « prétexte » initial au viol collectif, est primordiale. Il n’a pas encore perdu toute conscience des actes auxquels il prend part et les plans sur lui durant les scènes de viol apportent un point de vue extérieur qui en rend l’atrocité plus palpable.
Pendant le deuxième viol, la présence floue du meneur à l’arrière plan dans certains plans, jouissant ostensiblement de la scène, crée une distance indispensable, faisant écho à notre position de spectateur et interrogeant les processus de représentation et d’identification. Les plans sur ce personnage ne sont pas suivis de plans sur ce qu’il voit, ce qui empêche heureusement toute identification au désir de l’homme.
Puis Mattew prend à son tour la place du violeur. Pendant un certain temps le visage de Jennifer est totalement effacé par le montage, ce qui correspond à son évanouissement dans le récit. Les gros plans inquiétants sur le visage de Mattew, en contre-plongée déformante et filmés du point de vue de Jennifer, correspondent donc au point de vue qu’elle « aurait » sur son agresseur. Le spectateur s’en rend compte a posteriori lorsqu’un des hommes la réveille en lui versant de l’alcool sur la bouche. Pour la première fois alors son  visage est filmé, et au moment même où elle ouvre les yeux, Mattew se retire impuissant. C’est donc de nouveau l’impossible échange de regards qui est mis en scène.
Dans la quatrième et dernière scène de viol, Jennifer pour la première fois s’adresse à son agresseur (Stanley cette fois) en invoquant sa pitié. Jennifer s’affirme comme individu, prenant l’homme à parti en tant qu’individu responsable pouvant choisir de participer ou non au viol collectif. Ce qui se passe après cette prise de parole de la femme, c’est une crise de violence de Stanley qui va provoquer la désapprobation des autres hommes y compris du meneur. Or ce qui crée ce malaise général, ce n’est pas la violence à l’égard de Jennifer, malmenée sans scrupules depuis déjà un certain temps, mais la perte de contrôle sur lui-même du personnage de Stanley, qui rompt avec l’insouciance affichée jusqu’alors par l’ensemble des hommes et révèle une fissure, dément l’apparence de toute-puissance.
Parce que le point de vue permet ce discours sur les rapports de domination, et même si le choix de filmer des scènes de viol de façon aussi crue est toujours discutable, elles ne tombent pas dans une complaisance obscène.

Si par exemple Baise-moi, le film de Virginie Despentes et Coralie Trinh-Ti, est une catastrophe, c’est d’abord qu’il est foncièrement mal réalisé, que les actrices sont incroyablement mal dirigées, et qu’il lui manque la distance nécessaire à son sujet. Mais aussi son ambiance trash, avec l’emprunt là aussi de musiques punk et l’utilisation d’une esthétique porno (combinaison d’images crues et d’éléments qui déréalisent les scènes comme la musique ou l’éclairage) annihile tout recul critique et amoindrit en même temps l’impact de la violence.

A Gun for Jennifer manie pour sa part l’humour noir, sans que cela atténue en rien son âpreté et sa virulence. Le côté provocateur assumé s’affirme dès l’affiche représentant le corps d’une femme, une main protégeant sa poitrine, l’autre tenant un revolver, avec écrit : « Dead men don’t rape ». Le film est aussi volontairement outrancier : la caractérisation       des personnages assez sommaire, les dialogues brut de décoffrage, les situations (comme les scènes d’émasculation ou la messe noire, point culminant en termes d’horreur, pendant laquelle une jeune femme est mangée vivante) grotesques. Mais il réussit sur tous les tableaux, et la distance salutaire qu’apporte l’humour noir n’altère en rien sa violence et sa force.
Celui de Jennifer devant être à peu près équivalent à celui de Baise-moi, on voit que ce n’est pas fondamentalement une question de budget…

On voit aussi que tout choix d’écriture et de mise en scène est affaire de morale.

(1) Interview par Jesse Nelson : www.exhumedfilms.com
(2) « « A Gun for Jennifer », un petit film américain grand-guignolesque et déconnant. Féminisme, tendance sécateur. » par Gérard Lefort, Libération, 1998
(3) Renegade Sisters – Girl Gangs on film, Creation Books, 1998

Amer et le giallo

En 2010 sort Amer, que l’on présente un peu partout comme un « giallo ». Sans en être un à proprement parler, l’influence est évidente et les rapports entre le film et le genre passionnants. Si la connaissance du giallo offre un certain nombre de clefs pour appréhender Amer, le film propose à son tour une vision personnelle du genre que d’une certaine façon il renouvelle.

D’abord employé en référence à la couverture jaune des romans policiers italiens, le terme « giallo » a donné son nom à tout un sous-genre du cinéma d’horreur qui s’est développé dans un espace-temps assez limité : dans les années soixante et soixante-dix principalement, en Italie exclusivement (parfois en co-productions avec la France, l’Allemagne, l’Espagne ou les Etats-Unis).
La particularité du giallo est d’associer une intrigue policière, dans l’héritage du whodunit (contraction de l’expression « Who has done it ? », type de roman policier basé sur une énigme initiale, des indices jalonnant le récit et la révélation finale de l’identité du coupable) et des scènes de meurtre esthétisées et souvent fortement érotisées. Il puise donc à la fois dans le genre policier et le film d’horreur, double influence qui fait du giallo un genre bien spécifique.
Le giallo est assez méconnu en France mais aussi en Italie (on n’en connaît généralement que les films de Dario Argento) et mis à part quelques articles publiés ici et là dans des revues de cinéma, il faut attendre 2011 pour que paraisse en français un premier ouvrage conséquent consacré au genre (1).
Ces films possèdent un charme unique lié à l’époque, à l’Italie et à ce mélange de suspense et d’horreur. Le jeu avec les fantasmes et le voyeurisme des spectateurs et les préoccupations commerciales donnent lieu à un certain nombre de productions souvent assez complaisantes et peu ambitieuses, dont les réalisateurs travaillent à la chaîne (s’essayant indifféremment à différents genres, giallo, poliziottesco ou western…). On compte un peu moins d’une soixantaine de films, dont la plupart ne se trouvent qu’en DVD d’occasion (2) ou en téléchargement dans des versions souvent non sous-titrées et de mauvaise qualité. Quelques cinéastes se démarquent cependant par la qualité de leur mise en scène ou leur influence dans l’évolution du genre, parmi lesquels Mario Bava, Dario Argento, Lucio Fulci et le moins célèbre Sergio Martino.

Le giallo naît en 1963 avec La fille qui en savait trop de Mario Bava, un film de facture relativement classique dans lequel l’intrigue policière est ponctuée de séquences angoissantes et oniriques. L’année suivante, Bava réalise Six femmes pour l’assassin et radicalise le genre dans ce qui sera une de ses dimensions principales : l’exploration des pulsions sexuelles et morbides à travers une mise en scène érotique et horrifique. Il crée avec ce film une esthétique visuelle non réaliste à travers l’éclairage et l’utilisation des couleurs, qui influencera un certain nombre de gialli mais aussi des films d’Argento qui n’en sont pas comme Suspiria.

En 1970, L’oiseau au plumage de cristal, premier giallo de Dario Argento, reprend et met en place un certain nombre de codes qui réapparaîtront dans de nombreux gialli et dans la plupart des siens : la voix androgyne entendue à travers le téléphone et les gants noirs du tueur dont on ne voit pas le visage, les crimes à l’arme blanche, l’enquête menée par un détective improvisé témoin du premier meurtre, la référence dès le titre à un animal (3)… Ces éléments récurrents participeront à créer un style et une identité forte au genre. Argento introduit également le thème du souvenir obsessionnel, l’image vue et mal interprétée dont dépend la résolution de l’intrigue et qui de ce point de vue situe le film dans l’héritage du célèbre Blow up d’Antonioni (thème qui interviendra dans d’autres gialli et qui sera transposé dans le champ auditif en 1983 par un des films influencés par le genre : La maison de la terreur de Lamberto Bava, fils de Mario, également influencé par le Blow out de Brian de Palma).

Les gialli d’Argento sont certainement les plus aboutis du point de vue de la mise en scène, avec une maîtrise particulière des mouvements de caméra et de l’utilisation de la musique. La célèbre scène de course-poursuite avec le chien dans Ténèbres, son long travelling en vue subjective accompagné de la musique des Goblin, précédant l’entrée de l’assassin dans l’appartement où il sévira, sont de vrais moments de virtuosité technique et cinématographique extrêmement efficaces dans la montée de la tension.
Perversion Story et Le venin de la peur, deux films de Lucio Fulci, constituent sans doute pour leur part les gialli les plus érotiques (dans un registre différent, sa Longue nuit de l’exorcisme étant peut-être le plus dérangeant par son âpreté).

Certaines thématiques reviennent régulièrement dans ces films. Beaucoup de gialli mettent en scène des personnages névrosés évoluant dans un milieu bourgeois et dont se révèlent les penchants les plus pervers. C’est le cas dans plusieurs films de Sergio Martino : Toutes les couleurs du vice, dans lequel le personnage principal joué par Edwige Fenech va participer à d’étranges messes noires, ou L’étrange vice de Mme Wardh. On retrouve ce milieu bourgeois dépravé dans Le venin de la peur de Lucio Fulci, dans lequel Carol Hammond (jouée par Florinda Bolkan) est fascinée et obsédée par sa voisine aux mœurs dissolues.

Le traumatisme à l’origine de la psychose du tueur est un autre thème qui revient régulièrement. Il est souvent révélé dans le dénouement des films à l’aide de flash-back, comme dans Torso de Sergio Martino ou Profondo Rosso, de façon souvent assez grossière. Plus globalement, le thème de l’enfance et de ses résurgences et l’image d’une innocence perdue contrastant avec l’horreur revient dans de nombreux films, notamment à travers la figure de la poupée, comme celle de Profondo Rosso, et à travers la musique (les comptines ou motifs musicaux évoquant l’enfance comme c’est le cas dans Profondo Rosso, ou la très belle musique composée par Ennio Morricone pour Mio caro assassino de Toni Valerii – par ailleurs assez décevant).
Bien souvent aussi, le dénouement du giallo révèle une machination purement vénale – on pourrait ainsi classer les films en fonction des motivations du tueur, psychopathe mû par un traumatisme de l’enfance ou froid calculateur – comme c’est le cas dans La queue du scorpion de Sergio Martino.

Le giallo par sa représentation de meurtres à l’arme blanche annonce le slasher. On en trouve des éléments constitutifs plus précis dans certains films. Le dernier giallo réalisé par Sergio Martino en 1973, Torso, le préfigure par certains aspects un an avant Black Christmas de Bob Clark (considéré comme le premier slasher véritable), aussi bien par son cadre narratif (un groupe d’étudiantes s’étant réfugiées dans une maison de vacances à la suite de mystérieux meurtres seront les proies d’un tueur psychopathe), certains codes visuels typiques (notamment le masque du tueur) et certains motifs (les ébats sexuels des personnages qui se feront assassiner, le personnage de la survivante, etc.). Un giallo antérieur, La baie sanglante de Mario Bava, réalisé en 1971, peut être considéré également comme un pré-slasher : alors que dans Torso la survivante découvre en se réveillant le corps de ses camarades assassinées, le spectateur n’ayant pas assisté à ces meurtres (ce qui fait aussi l’originalité du film), dans le film de Bava les personnages réunis dans la baie se font assassiner devant la caméra les uns après les autres. La ressemblance de Vendredi 13 avec La baie sanglante à ce niveau-là est frappante.

Au-delà des années soixante-dix et de l’Italie (Ténèbres d’Argento marquant sans doute en 1982 la fin du giallo authentique), il est plus juste de parler de post-giallo à propos de films influencés par le genre, comme Pulsions de Brian De Palma, le sublime – et inclassable – Santa Sangre de Jodorowsky (le producteur du film Claudio Argento, frère de Dario, ayant apporté l’influence giallesque), et certains films d’horreur comme Angoisse de Bigas Louna ou Bloody Bird de Michele Soavi.

Amer, premier long-métrage franco-belge écrit et réalisé par le couple Hélène Cattet/Bruno Forzani après cinq courts-métrages expérimentaux et autoproduits, se confronte au giallo de façon beaucoup plus directe en même temps qu’il le subvertit. Il est tourné en 2008, les cinéastes disposant d’un budget très modeste de 700 000 euros (pas évident de trouver des financements en France, qui ne brille pas par son cinéma de genre, mais le film a obtenu l’aide de la communauté française de Belgique, du département des Alpes Maritimes ainsi qu’un pré-achat Canal +), d’une équipe réduite d’une vingtaine de personnes et de 39 jours de tournage (4). Les réalisateurs adaptent leur mise en scène à ce contexte financier en privilégiant les plans fixes, et préparent leur tournage avec une rigueur étonnante en tournant une version préliminaire du film (entier) de façon à appréhender tous les problèmes techniques. Ils font partie de ces cinéastes qui improvisent très peu voire pas du tout sur le tournage, tous les plans étant envisagés de façon très précise dès l’écriture du scénario.

En réalité, Amer est et n’est pas un giallo. S’il en reprend la dimension la plus forte, celle d’une fascination sexuelle et morbide qu’il sublime dans une mise en scène sensorielle, son caractère expérimental l’éloigne en même temps du genre. En réduisant la narrativité au profit d’une approche plus formelle, il met en effet de côté tout l’aspect policier du giallo. Pas de réelle intrigue, pas de dénouement. D’une certaine façon Amer transcende le genre en reprenant certains de ses codes (les fameux gants noirs, la lame de rasoir, les plans subjectifs du point de vue du tueur qui nous font prendre conscience du danger avant la victime, les musiques empruntées à différents gialli, la baignoire qui est un décor de meurtre récurrent, les couleurs vives et les plans monochromes…) en-dehors d’un cadre narratif classique, décuplant ainsi leur force évocatrice.

Amer se divise en trois parties correspondant à trois périodes de la vie d’Ana : il nous fait suivre un moment de son enfance, de son adolescence puis de sa vie d’adulte, nous plaçant dans son point de vue du début à la fin. La première partie nous fait partager l’angoisse d’Ana enfant dans un univers clos – une villa familiale – de plus en plus inquiétant. Elle y est confrontée à la mort (par la présence effrayante et fascinante dans une des pièces de la maison du cadavre de son grand-père que surveille une inquiétante vieille femme voilée de noir), et à la sexualité en surprenant les ébats de ses parents. La seconde met en scène à l’adolescence l’épanouissement de la sensualité d’Ana et la découverte du désir qu’elle suscite, l’attitude de prédateurs des hommes en même temps que son pouvoir sur eux. Dans la troisième partie, la plus giallesque, Ana adulte revient dans la maison de son enfance où elle sera poursuivie par un mystérieux homme masqué.
En s’affranchissant des règles du récit classique, et des codes narratifs propres au giallo en particulier, Amer se donne la possibilité d’expérimenter la matière filmique pour traduire avec une intensité étonnante les sensations d’Ana. La vue, l’ouïe et la sensation de la matière y sont exacerbés. Le montage extrêmement travaillé, très découpé, l’utilisation fréquente de très gros plans (en particulier des yeux : ceux d’Ana qui guette autour d’elle les signes d’une présence inquiétante, mais aussi les regards menaçants de sa mère puis des hommes qui la dévisagent) créent un cinéma de la matière, très incarné, presque sans paroles. Dans cette absence de paroles – dans la première partie, la voix de la mère qui parle souvent un italien non traduit devient elle-même pure matière sonore, dans la troisième la seule question adressée par Ana au chauffeur de taxi prend un caractère particulièrement angoissant de n’être précédée et suivie d’aucun mot – le moindre bruit prend de l’importance : bruits de portes qui grincent, soupirs suggérant une présence fantomatique, voix étouffées à travers les cloisons… La sensation tactile est aussi très présente tout au long du film : le vent qui s’engouffre sous la jupe d’Ana, les plantes qui s’accrochent à sa peau et à ses vêtements lorsqu’elle revient dans la villa laissée à l’abandon, le bruit que font les vêtements de cuir, l’eau qui envahit la baignoire et immerge peu à peu le corps d’Ana dans une des séquences les plus érotiques… Tous ces éléments visuels et sonores nous plongent avec une intensité rarement atteinte dans les sensations du personnage.

Détachés de leur contexte narratif habituel, les codes visuels ou musicaux du giallo sont ici sublimés dans une approche qui les renvoie au fantasme et à la sensation purs.
Ce qui n’en fait pas pour autant un film gratuitement formaliste car l’influence du giallo comme la dimension expérimentale sont les prismes à travers lesquels Cattet et Forzani interrogent la sexualité et le désir féminins.

Si le giallo met souvent en scène les corps féminins du point de vue de l’homme désirant, Amer rend compte des émotions d’Ana face à l’étalage de force et de virilité. Dans la séquence où elle se retrouve seule face à une dizaine de motards, la succession de gros plans sur les yeux, les cous des motards, les jambes arquées sur les motos, les bottes en cuir, les bouches mâchant du chewing-gum, la sueur dégoulinant sur la peau, une main qui essuie du cambouis, une boucle d’oreille ou un bras tatoué nous place dans le point de vue de la jeune femme désirée et désirante. Il émane de ces plans une sensualité forte. Le fait que les hommes ne soient jamais filmés des pieds à la tête et que l’utilisation du gros plan empêche de les individualiser renvoie à une dimension fétichiste du désir et du cinéma, et exalte pour une fois le sex-appeal masculin. Le découpage de la séquence et la position des corps dans l’espace (les plans sur les motards alternant avec des plans d’Ana qui avance sous le regard fixe des hommes) traduisent le trouble et l’ambivalence des émotions d’Ana, mélange de peur et d’attirance, que révèlent tous ses gestes : celui de replacer une mèche de cheveux derrière l’oreille, lorsqu’elle se retrouve tout à coup confrontée au regard de ces hommes, geste de pudeur et de coquetterie ; celui qu’elle a plusieurs fois de placer son chapeau devant son sexe comme pour se protéger de la convoitise des hommes, mais attirant du même coup les regards à cet endroit, ou de retenir sa jupe que le vent soulève. Dans la troisième partie du film la figure de l’homme est aussi fortement sexualisée. Dans la séquence du taxi ou pendant la tentative de fuite d’Ana sont mis en valeur les éléments de virilité : il y a une dimension érotique évidente dans le cuir, la force qui émane des corps masculins, la rudesse qu’expriment les visages ainsi que dans l’arme du tueur. Si ces éléments proviennent du giallo, aucun ne s’était attaché à retranscrire de cette façon les sensations de la victime et l’attrait sexuel de l’homme. Le rapport ambigu à la mort, à la sexualité et à la souffrance est ici lié au statut de femme d’Ana. Cette troisième partie met aussi en scène une certaine confusion fantasmatique des genres et des identités : dans le plan qui suit la séquence la plus horrifique du film, pendant laquelle la caméra se focalise sur les larmes de l’homme torturé (passant de potentielle menace à victime), les yeux d’Ana sont filmés en gros plan comme ceux de l’homme juste avant et on ne les différencie pas immédiatement. On la découvre ensuite portant elle-même des gants de cuir. Globalement, le découpage de toute cette partie du film crée une incertitude forte quant au positionnement des corps dans l’espace et au statut des trois personnages. La mise en scène en faisant perdre au spectateur ses repères traduit l’égarement psychique du personnage et l’ambiguïté de ses fantasmes.

Amer apporte un point de vue inédit pour le genre : par sa mise en scène érotique de la virilité et par la description intense et précise de sensations féminines.
En ce sens, il a pour moi sa place parmi les films de femmes – pas si nombreux – s’attachant à mettre en scène un point de vue féminin sur le désir et abordant frontalement la sexualité féminine, comme le font certains films de Jane Campion (on retrouve des thématiques proches et une approche subjective et sensuelle dans In the cut), Pascale Ferran (Lady Chatterley étant un des rares films où le désir d’une femme pour un homme est traduit avec autant de force), Chantal Akerman (Je tu il elle et sa scène de sexe lesbien, qui propose une manière autre de filmer la sexualité), Catherine Breillat (de façon parfois très intellectualisante, plus subtile dans 36 fillette) ou Judith Cahen (La révolution sexuelle n’a pas eu lieu, malheureusement moins connu). Amer se démarque par la force de son introspection.

Hélène Cattet et Bruno Forzani ont réalisé en 2012 un fragment de l’ABC of death, O is for Orgasm, court-métrage de 3’33 où l’on retrouve en condensé un certain nombre des caractéristiques d’Amer. Il met en scène en-dehors de tout récit les sensations sexuelles d’une femme, reprenant une fois encore différents éléments du giallo : gants noir, lame, fantasmes sado-masochistes. Ce court-métrage explore à son tour les liens mystérieux entre plaisir et douleur.
Leur deuxième long-métrage, L’étrange couleur des larmes de ton corps, est sorti cette année, également influencé par le giallo. Il en reprend les codes de façon plus directe encore, par son cadre narratif – un homme de retour chez lui constate la disparition de sa femme, il y a donc cette fois un embryon d’intrigue que le film ne développe pourtant pas, se focalisant à nouveau sur l’aspect fantasmatique –, la présence de la voix androgyne typique, etc. Paradoxalement, l’absence d’une enquête véritable m’a davantage déconcertée dans ce film où le contexte initial en laissait supposer une. Le style développé par les deux réalisateurs dans Amer et leurs courts-métrages – très gros plans, montage nerveux, couleurs psychédéliques, richesse de l’univers sonore dans lequel chaque son se détache des autres et prend une résonance particulière… – y est radicalisé.

Charlotte Cayeux

Autre survivance du giallo en France, le court-métrage L’œil du hibou écrit et réalisé par Tanneguy O’Meara et sorti en 2013. On y retrouve de nombreux éléments giallesque – le cadre : un immeuble bourgeois et ses grands escaliers ; le contexte narratif : un homme assiste par hasard au meurtre d’une femme mais il y a méprise sur l’identité de la victime ; les éléments visuels typiques : gants noirs, arme blanche,… ; l’onirisme créé par la musique, les couleurs non réalistes, les mouvements de caméra fluides et amples à la Argento ; la référence à l’animal. Ce film tend moins vers l’expérimental que les réalisations de Cattet et Forzani mais se concentre lui aussi sur l’esthétique giallesque davantage que sur la narration, assez floue. Alors que dans les gialli véritables les scènes de meurtres oniriques prennent un certain relief en se détachant d’une narration plus réaliste, ces néo-gialli cherchent à explorer au maximum les possibilités esthétiques du giallo, l’onirisme gagnant l’ensemble des films, et faisant l’économie de l’aspect whodunit (même si le mystère de l’identité reste présent comme thème).
La démarche est réjouissante et la réalisation de ce court-métrage de 30 minutes, produit par la jeune société Elma Productions, assez réussie.

(1) Panorama Cinéma, Vies et morts du giallo : de 1963 à aujourd’hui, Canada, 2011
(2) L’éditeur français Neo Publishing qui n’existe malheureusement plus en a édité une dizaine.
(3) En 1971 sortent : Le chat à neuf queues, L’iguane a la langue de feu, Journée noire pour un bélier, Un papillon aux ailes ensanglantées, Quatre mouches de velours gris, La queue du scorpion, La tarentule au ventre noir.
(4) Voir l’interview des réalisateurs et du producteur d’Amer dans Metaluna n°6 (version fanzine)

Le jeu de Françoise Lebrun dans La Maman et la putain

Le travail de l’acteur, sa relation avec le réalisateur est un des aspects du cinéma qui m’a toujours le plus fascinée. L’équilibre entre le corps de l’acteur, les caractéristiques physiques dont il ne peut se défaire, et ce qu’il parvient à construire avec le cinéaste pour incarner un personnage.
Il existe sans doute autant de types de direction d’acteur que de cinéastes, de celui qui laisse la part belle à l’improvisation et qui pense son cadre en fonction de l’acteur (Renoir, Pialat…) au plus dirigiste (Bresson), travaillant avec l’acteur à partir d’un texte très écrit et d’un découpage préalable. La maman et la putain, réalisé par Jean Eustache en 1973, se classe parmi ces films dont les acteurs travaillent à partir de dialogues écrits à la virgule près.

Je me suis beaucoup intéressée au jeu d’acteur en relation avec le thème du désir féminin, ou d’un point de vue féminin face au désir de l’autre. La maman et la putain est un des films les plus passionnants de ce point de vue de par l’ambivalence du personnage de Veronika. Ambivalence qui passe essentiellement, plus encore que par les dialogues et le scénario, par la présence, les attitudes et la subtilité de jeu de l’actrice Françoise Lebrun.

Alexandre (interprété par Jean-Pierre Léaud) est un jeune intellectuel désœuvré, vivant plus ou moins aux crochets de sa maîtresse, Marie. Un jour, il aperçoit Veronika à la terrasse d’un café, qui le regarde, puis s’éloigne. Alexandre la rattrape et lui demande son numéro. Alors que Marie s’est absentée quelques jours, Alexandre contacte Veronika et entre dans une liaison. Lorsque Marie rentre, elle accepte la présence de Veronika et une sorte de triangle amoureux se met en place, bientôt menacé par les tensions qui se créent.

Le personnage de Veronika se construit au cours du film en quatre phases principales : la première apparition « physique » du personnage puis ses apparitions uniquement sonores, le premier rendez-vous dans le café avec le personnage d’Alexandre, le repas au restaurant et enfin la célèbre scène du monologue de Veronika.

Il n’est pas anodin que la première apparition de Veronika soit uniquement visuelle, et les deux suivantes uniquement sonores.
La première apparition de Veronika, puisqu’elle a lieu sans paroles, fait intervenir l’actrice seulement corporellement, et filmée du point de vue du personnage masculin. Son corps est filmé entièrement et sa présence physique se ressent d’autant plus qu’elle n’est pas accompagnée d’un jeu verbal. La façon qu’elle a de fixer du regard Alexandre est un trait qui se retrouve durant tout le film et dont l’effet particulier provient surtout des qualités « naturelles » de l’actrice : ses grands yeux, la franchise de son regard contrastant avec son aspect fragile. Ces particularités physiques sont très importantes dans la construction du personnage qui repose beaucoup sur cette apparence un peu évanescente (cheveux blonds, peau pâle, corps mince et élancé…). Le maquillage et les vêtements mettent en valeur son caractère soigné et féminin : les traits noirs autour des yeux, très marqués, soulignent les regards appuyés, la jupe et le long châle noir soulignent sa minceur et les mouvements de son corps quand elle marche. Le rôle écrit correspond parfaitement au physique particulier de l’actrice, évoquant douceur et fragilité, et qui mis en rapport avec le texte du personnage et sa « psychologie » crée une sorte de contraste révélant sa complexité.

La première fois que Veronika apparaît, assise à la terrasse d’un café, son attitude et ses gestes créent une manière d’être qu’elle conservera tout au long du film, et qui correspond en quelque sorte au personnage global, indépendamment des scènes particulières. Sa façon de croiser les bras, par exemple, est un geste qui reviendra très souvent. Il exprime un certain repli, ou en tout cas le besoin d’une protection. Effectué en même temps que le regard insistant et presque provocant à l’égard d’Alexandre, il donne d’emblée l’idée d’un personnage à la fois fragile et très cru. Cette impression sera confirmée par les dialogues du personnage, mais elle se dégage d’abord d’une attitude purement corporelle.

Veronika est ensuite filmée de dos, marchant dans la rue, lorsque Alexandre la rattrape pour l’aborder. Il se dégage une certaine grâce de sa façon de marcher, à la fois décidée (elle marche d’un pas rapide, se tenant très droite) et distinguée (elle semble mesurer ses pas, et ses vêtements donnent l’idée de quelqu’un qui travaille son apparence). La grâce qui se dégage d’un tel plan provient essentiellement des données inhérentes à l’actrice : l’impression première qu’a le spectateur en voyant ces plans est liée au corps même de Françoise Lebrun, à sa façon de se mouvoir. Le fait de filmer d’abord le personnage comme un pur corps ne s’exprimant que gestuellement, et le choix du réalisateur de ne pas faire entendre les paroles échangées par les deux personnages lors de cette première rencontre contribuent d’une part au caractère un peu intriguant de cette femme, d’autre part à l’idée d’un corps objet du désir, dont chaque geste est valorisé par la manière de le filmer.

Les deux apparitions suivantes de Veronika ont lieu à l’inverse uniquement par le biais de la voix, lorsque Alexandre lui téléphone pour prendre rendez-vous. Ces premières apparitions où tour à tour un seul sens est « satisfait » placent le spectateur dans un état d’interrogation vis-à-vis de ce personnage qu’il semble difficile d’appréhender.
Là encore, le fait d’entendre la voix hors-champ la met en valeur en tant que phénomène physique, en-dehors du contenu des dialogues. La voix de Françoise Lebrun est douce, plutôt aiguë et assez « fine ». Sa façon de parler ici est plutôt celle d’une voix qui ne porte pas, sans tonus, ce qui appuie l’aspect fragile qui caractérise déjà le timbre de voix lui-même, et d’autant plus par contraste avec la voix du personnage masculin. Souvent, les fins de phrase semblent retomber et rester en suspens, ce qui évoque le côté un peu désabusé de quelqu’un qui n’attend pas grand-chose de ses rencontres. Le jeu des intonations présente une dynamique particulière, mélange de phrases ascendantes et descendantes. Des phrases sont récitées avec nonchalance et tout à coup des mots sont dits avec plus d’entrain. La scène n’est pas jouée dans une seule intention clairement identifiable. On ne sait pas trop par exemple dans quelle mesure le personnage semble enthousiaste ou indifférent. Les intonations données au texte proposent une parole assez musicale. Ce n’est pas une parole rectiligne, elle ne cesse au contraire de monter puis redescendre. Ce type de jeu est d’ailleurs très différent de celui des deux autres personnages féminins importants du film. On peut remarquer aussi un certain contraste entre l’emploi de mots familiers et le ton plutôt « élégant », qui participe de l’ambiguïté du personnage. Cet effet, qui se retrouve dans l’ensemble du film, est dû aussi au texte très écrit, très littéraire, la démarche d’Eustache n’étant pas naturaliste. Et si le jeu des acteurs est expressif il ne cherche pas à « faire vrai ».

Le premier rendez-vous entre Alexandre et Veronika (au bout de quarante-trois minutes de film) est donc le moment où pour la première fois le personnage s’offre au spectateur à la fois physiquement et vocalement. Comme toujours dans le film, ses cheveux lisses sont tirés à l’arrière et ses yeux maquillés. C’est un physique sophistiqué et sa façon de s’exprimer, souvent dans la retenue, participe de l’impression générale d’un personnage un peu éthéré.

On peut constater une évolution du jeu de l’actrice entre le début et la fin de cette scène. Les premières paroles de Veronika sont prononcées sur un ton assez neutre, presque éteint, proche de la tonalité générale de la conversation téléphonique. Ses paroles s’animent peu à peu au fur et à mesure de la conversation, même si sa façon de s’exprimer reste globalement assez retenue, s’opposant au jeu beaucoup plus emphatique de Jean-Pierre Léaud. Les fins de phrase donnent parfois l’impression d’un élan qui retombe, comme une lassitude, qui n’est pas exprimée explicitement par les dialogues assez anodins mais par l’intonation qui leur est donnée. Le côté démonstratif du personnage d’Alexandre qui parle beaucoup, et d’une voix plus assurée, contraste avec la présence réservée de Veronika. Il semble que ses phrases coulent sans que les syllabes soient appuyées, comme s’il n’y avait pas tellement d’implication corporelle dans sa diction (contrairement au personnage de Marie joué par Bernadette Lafont dont les paroles sont toujours très projetées).
Dans cette scène, si c’est le personnage masculin qui s’exprime le plus par la parole, le visage de Veronika est très souvent filmé lorsqu’elle écoute son interlocuteur, ce qui n’est pas vrai dans l’autre sens et focalise l’attention sur elle. L’actrice est particulièrement expressive dans ces plans où ses réactions se lisent sur son visage. Ses regards fixes vers Alexandre, et les sourires qu’elle laisse se dessiner mais toujours brièvement confèrent une certaine gravité à cette première conversation, qui à partir des mêmes dialogues aurait pu être jouée sur un mode beaucoup plus léger, ou plus anecdotique. L’alternance de sourires amusés mais ponctuels et d’une expression qui évoque l’absence de frivolité exprime déjà le caractère complexe du personnage qui ne se livre pas d’emblée mais trahit par certaines attitudes ses contradictions et son mal-être. L’expression grave succédant aux sourires donne l’impression que le personnage participe à la scène et demeure en même temps à distance.
Le jeu de Françoise Lebrun est assez minimaliste, à la fois dans sa présence physique et dans l’utilisation de la parole. Dans cette scène, elle ne bouge quasiment pas, hormis quelques mouvements de tête quand elle parle, et ses regards restent fixés dans une même direction. On est donc très loin d’une expressivité théâtrale. Chaque mouvement ou intonation de voix en ressortent d’autant plus. Par exemple, la prononciation générale du personnage avec des phrases au mouvement descendant (« mais la plupart du temps il ne se passe rien, il n’y a pas de contact ») qui donnent l’impression de se traîner un peu valorise par contraste les moments où la phrase semble s’animer et où le mouvement est ascendant (« Vous n’aimez pas aller dans les boîtes ? »). Le jeu des acteurs et leur présence physique confèrent une profondeur à cette rencontre et à cette conversation a priori banales.
Dans le passage de cette scène où Veronika parle le plus longtemps, les quelques phrases où elle résume sa vie quotidienne, l’aspect littéraire des dialogues se ressent particulièrement. On a conscience d’écouter un texte qui est joué, alors que les autres éléments de mise en scène tendent plutôt vers un certain réalisme. Cela crée une distanciation, la « vérité » des personnages semblant devoir surgir d’un travail sur le corps et la voix qui ne se situe pas dans l’imitation, qui crée une émotion particulière face au constat amer de Veronika sur sa propre vie. A cet égard, il peut être intéressant de relever l’allusion d’Alexandre à une femme qu’il aimerait « par exemple parce qu’elle a joué dans un film de Bresson ». Outre la parenté des deux cinéastes dans la volonté de chasser le naturalisme pour trouver une autre forme de justesse, et bien que le type de jeu obtenu soit très différent chez l’un et l’autre, cette allusion exprime la relation particulière d’un cinéaste à son actrice et le désir de la filmer qui sous-tend le film.

Veronika se livre peu à peu tout au long du film. Un changement dans son attitude corporelle et verbale est visible notamment dans la scène du bar qui suit le repas au restaurant (vers 1h05).

Les deux personnages sont filmés en plan rapproché, ce qui permet de valoriser les gestes de Veronika alors que durant la première rencontre elle était souvent filmée en gros plan et que son corps semblait assez statique. Chacun de ses mouvements, sa façon de tenir sa cigarette ou de bouger la tête au cours de la conversation sont effectués avec une certaine grâce. Même si l’intonation est plus assurée que dans les scènes précédentes, sa voix se caractérise également par sa douceur et sa « féminité » : elle n’est jamais forte et reste globalement dans la même nuance – pas d’impulsions ni de contrastes dans la manière d’émettre les sons – même quand Veronika s’anime ou parle sur un ton amer en évoquant ses expériences sexuelles. Son ton s’anime lorsqu’elle raconte l’anecdote sordide du médecin avec qui elle a couché. Elle insiste alors sur les mots les plus crus (« baiser », …) et appuie davantage les fins de phrases. Ses paroles sont ponctuées par des gestes (changements de direction du regard, mouvements de la main avec la cigarette, …) qui correspondent à une plus grande implication corporelle. Son ton plus assuré et son rire franc traduisent l’intimité qui s’est créée entre les personnages. En même temps, la gestuelle globale de Veronika continue de donner l’impression d’un corps introverti, notamment par sa manière de baisser la tête et de garder ses bras près d’elle (ce geste de garder les bras croisés contre elle même lorsqu’elle marche étant récurrent dans le film). Le jeu de l’actrice exprime une position d’entre deux, celle d’un personnage tiraillé entre des mouvements contraires : la sympathie que lui inspire Alexandre et son histoire personnelle qui la rend réticente.

Le personnage de Veronika est troublant par ce mélange d’expressions crues et directes, d’une liberté de langage lorsqu’elle parle de sexe et de la fragilité qu’elle dégage. Ce contraste correspond à une dualité plus profonde du personnage, à la fois symbole de liberté sexuelle et de son échec.
Lorsqu’elle raconte l’anecdote du médecin, les expressions crues et directes vont de pair avec un ton acerbe que l’actrice emploie dès que le personnage évoque sa vie sexuelle et affective. Ainsi cette façon assez impudique d’en parler n’est pas associée à une idée d’épanouissement liée à une « libération sexuelle » mais au contraire à la lucidité du personnage sur sa vie et ses expériences. Il y a une franchise dérangeante dans le personnage de Veronika, d’autant plus qu’elle contraste avec son caractère réservé, par rapport à une vision masculine toujours fortement ancrée dans la société opposant les « putes » et les « femmes respectables » .
Dans ce passage où c’est Veronika qui raconte, l’émotion naît de cette distance que le caractère littéraire du texte crée vis-à-vis du personnage, et dans la distance du personnage vis-à-vis de lui-même. On évite alors un jeu trop emphatique, et on approche une vérité qui se crée autrement que par des émotions stéréotypées. L’aspect littéraire des dialogues universalise les personnages. Ce qu’ils expriment n’est pas totalement collé à eux et prend un sens plus général.

La fameuse scène du monologue de Veronika, celle où le personnage monopolise le plus longtemps la parole, constitue le moment où la problématique essentielle du film est explicitée à travers son discours : dualités sexe/amour, femme libérée/femme-objet, hommes/femmes et marque une rupture dans le jeu de l’actrice. C’est la scène où le personnage s’extériorise le plus. Elle prononce les phrases en appuyant les syllabes et en marquant les consonnes, notamment celles des mots les plus crus (« pute », « baiser »…). Le corps est aussi très impliqué et offre une manifestation physique et assez impudique de la souffrance : le visage de Veronika qui pleure est presque grimaçant et sa voix très matérialisée (beaucoup de soupirs, sanglots, gémissements et des respirations très marquées).

Le travail de l’actrice sur les intonations divise la scène en différents fragments qui passent d’une émotion à l’autre, la colère notamment (« Mais qu’est-ce que ça veut dire, pute ? »), l’ironie (« Tu baises de ton côté chéri, je baise de l’autre. On est super heureux ensemble. On se retrouve… ») ou la tristesse (« un jour un homme viendra et m’aimera, il me fera un enfant parce qu’il m’aimera. »). Cela donne à la scène un rythme scandé très musical, avec des accélérations et des retombées. La voix de l’actrice est par moments vraiment projetée lorsqu’elle exprime la colère (« et je me fais baiser par n’importe qui et on me baise et je prends mon pied »), parfois les fins de phrase semblent mourir et exprimer l’épuisement du personnage (« si on a envie de faire un enfant qui nous ressemble, on s’aime… »).
Le jeu de Françoise Lebrun est expressif sans être démonstratif. Elle est filmée assise la tête contre un mur durant toute la scène, dans un état de lassitude. Le seul mouvement est celui de sa tête qu’elle tourne sans arrêt d’un côté à l’autre, participant par son insistance du côté très physique et impudique de la scène. La mise en scène très sobre (plans rapprochés, fixité de la caméra et des personnages) la rend plus pesante et concentre l’attention sur le personnage de Veronika.
L’aspect toujours littéraire du texte avec des phrases très construites (« Votre sexe, Alexandre, qui me fait tant jouir, votre sexe n’a pour moi aucune importance », …) place le spectateur dans une posture critique : il a conscience d’être face à un film et une interprétation, les personnages incarnant des problématiques universelles. Cette démarche d’écriture rend impossible un jeu trop démonstratif qui fonctionnerait sur des émotions stéréotypées.

L’esthétique libertaire dans les films d’Armand Gatti

Le texte ci-dessous est issu de ma communication autour du cinéma d’Armand Gatti lors du colloque « Art et Utopie », qui avait été organisé par Kristian Feigelson en février 2013 à l’Institut National d’Histoire de l’Art.

Entre 1961 et 1981, Armand Gatti réalise six films. Très différents sur la forme mais abordant tous des sujets politiques. Ils évoquent différentes périodes révolutionnaires de l’Histoire : la révolution espagnole dans Le Passage de l’Ebre, les luttes de l’IRA dans Nous étions tous des noms d’arbres, la révolution cubaine – de façon moins directe – dans El otro Cristobal ; ou bien la Résistance : L’Enclos sur l’univers concentrationnaire ou la série vidéo La Première lettre qui convoque la figure du résistant Roger Rouxel ; ou encore l’immigration et le travail ouvrier dans une autre série vidéo intitulée Le Lion, sa cage et ses ailes.
L’anarchisme en lui-même n’est jamais un thème explicite des films de Gatti, à la différence de ses œuvres littéraires qui convoquent un certain nombre de figures anarchistes, de Sacco et Vanzetti qui sont au centre de la pièce Chant public devant deux chaises électriques à Carlo Cafiero qui est une figure importante de La Parole errante, en passant par la série de livres De l’anarchie comme battements d’ailes. Et pourtant, chacun des films présente un certain nombre d’éléments formels qui découlent de sa vision anarchiste du monde, et qui créent ce qu’on peut qualifier d’esthétique libertaire.
Malgré une grande diversité de formes (entre les films de cinéma en 35 ou 16 mm et les films vidéo, les fictions et les documentaires, les longs-métrages et les séries), il se crée dans chacun d’eux un rapport particulier entre l’Histoire et l’Utopie, et plus concrètement, entre une dimension fictionnelle ou imaginaire et un rapport plus documentaire à des moments historiques précis, que ce soit dans le cadre des fictions ou des documentaires.

L’Enclos est le premier film réalisé par Armand Gatti et le premier film de fiction français sur l’univers concentrationnaire. Dans un camp de concentration nazi, un lieutenant et un commandant S.S enferment dans un enclos deux prisonniers, un communiste allemand et un horloger juif, en leur disant que celui qui tuera l’autre aura la vie sauve.
Ce film offre une approche particulièrement intéressante par rapport à tous les questionnements et débats qu’il a pu y avoir sur la possibilité de représenter les camps et notamment par le recours à la fiction. Gatti a choisi d’axer son récit sur une histoire de solidarité (puisque le film met en scène la solidarité qui se crée entre le juif et l’allemand à l’intérieur de l’enclos, et la solidarité d’autres prisonniers qui s’organisent à l’extérieur de l’enclos pour libérer le communiste), et il dira pour justifier ce choix : « Ce qui fait l’homme plus petit que l’homme ne m’intéresse pas. Je m’intéresse à ce qui fait l’homme plus grand que l’homme ».
La réplique du communiste allemand : « Ici, ce n’est pas l’homme qui compte, c’est sa lutte » va dans ce sens. Gatti ne veut pas rabaisser l’homme à nouveau en ne le filmant qu’humilié mais au contraire célébrer l’homme en lutte.
Le film est à la fois très réaliste dans son traitement et dans la description du fonctionnement du camp, et en même temps, le récit autour de ces deux prisonniers prend une valeur allégorique qui dépeint cette idée de l’homme plus grand que l’homme qui est l’homme solidaire et en lutte contre tout ce qui l’asservit. La fiction est nécessaire pour Gatti dans ce film pour véhiculer cette vision de l’homme et ne pas uniquement témoigner de l’univers concentrationnaire (même si la dimension de témoignage est aussi essentielle).

L’année d’après, en 1962, Gatti réalise El otro Cristobal à Cuba, à l’invitation de l’Institut Cubain d’Art et d’Industrie Cinématographique. Le film fonctionne sur un montage alterné entre des scènes qui se déroulent au Ciel – où règne au début du film le Dieu Olofi – et des scènes qui se déroulent sur Terre, sur l’île de Tecunuman – où règne le dictateur Anastasio, de façon à rendre compte des interactions entre les deux espaces. Anastasio renverse Olofi et tente de prendre le pouvoir dans le Ciel, mais le prisonnier politique Cristobal et les siens vont partir libérer le Ciel. Le film, très fantaisiste, se présente comme une fable à portée universelle sur le pouvoir, avec des éléments d’abstraction forts (absence de localisation spatiale et temporelle, personnages-types, statut métaphorique du récit, …). D’autres éléments, notamment la langue et la musique, ancrent davantage le récit dans la culture latino-américaine. La bande-son fait intervenir un certain nombre de musiques traditionnelles issues de différentes cultures, comme si elle prenait en charge en quelque sorte l’internationalisme du film.
El otro Cristobal se présente comme une parabole « démesurée » sur la révolution cubaine, parabole qui ne sera explicitée par une voix off qu’à la toute fin du film. Pour Gatti la « démesure », c’est « redonner à l’homme sa dimension d’univers », d’où le recours à une fable cosmique qui permet d’ancrer la révolution cubaine dans un combat de l’homme beaucoup plus large.
Il y a dans ce film une véritable tension entre le caractère fantastique de la fable et une dimension documentaire, liée au fait que sa réalisation se fit de plain-pied dans la réalité des événements cubains. Dans son ouvrage Le vécu et l’imaginaire : chroniques d’un homme d’images, Henry Alekan, chef opérateur sur le film, témoigne des conditions très particulières du tournage :

« Les matériaux de construction pour les décors faisaient défaut. Plus de peinture, de bois, de toile. Les projecteurs étaient en nombre insuffisant, les lampes usées ou cassées ne pouvaient être renouvelées. Les caméras étaient hors d’usage. (…) Il fut nécessaire de tout reprendre à zéro avec un personnel médiocre mais de bonne volonté. Heureusement, Armand Gatti avait fait venir de France une petite équipe pour encadrer les ouvriers et techniciens cubains. »

Cette situation correspond bien à l’état d’esprit de Gatti qui privilégie toujours le travail avec et auprès des gens qui sont l’objet de ses œuvres, et en l’occurrence, tourner en plein cœur de l’expérience révolutionnaire cubaine a certainement permis de transmettre au film, malgré les difficultés techniques, l’énergie et l’enthousiasme des militants côtoyés au quotidien. Le film porte la trace de ces événements politiques non pas tellement dans son contenu – le scénario avait été écrit avant l’arrivée à Cuba – mais dans le processus de fabrication lui-même, puisque la réalisation dépendait entièrement de l’évolution politique du pays.
L’esthétique de la démesure, qui tend à matérialiser cet élan de révolte qui fait l’ « homme plus grand que l’homme », se manifeste à différents niveaux : par l’aspect fantastique et burlesque, mais aussi à travers les décors à la Méliès dans les scènes qui se déroulent au Ciel, les lumières très stylisées, les cadrages inhabituels et excessifs avec notamment de fortes contre-plongées ou des cadres penchés.

Dans certains films d’Armand Gatti, l’utopie se manifeste, comme souvent dans ses textes littéraires, par la capacité de l’œuvre à transcender les barrières du temps et de l’espace. C’est le cas du Passage de l’Ebre (1969) qui est une fiction, et de la série vidéo La Première lettre (1979) – et notamment le premier film de la série, Roger Rouxel – qui est un documentaire.
Le Passage de l’Ebre met en scène Manuel Aguirre, un émigré espagnol installé en Allemagne et qui travaille comme égoutier. Aguirre fait embaucher son fils qui meurt dans un accident du travail avec l’égoutier allemand qui a tenté de le secourir. La veuve de l’égoutier se détourne d’Aguirre et il comprend qu’on lui reproche en tant qu’étranger d’être la cause de la mort de son mari. Tout au long du film l’immigré est taraudé par son désir de retourner en Espagne et prend peu à peu conscience de l’importance de continuer à participer à la lutte.
Roger Rouxel quant à lui évoque la figure du jeune résistant à partir de la lettre d’amour écrite à sa petite amie Mathilde peu avant son exécution, « première lettre d’amour et dernière lettre de vivant ». Gatti confronte le destin individuel au combat collectif. Ce portrait de Roger Rouxel et de l’ensemble du groupe Manouchian échappe ainsi à toute glorification et au traitement pseudo-objectif des livres d’histoire. Gatti s’intéresse non pas tant à l’histoire du groupe Manouchian ou plus précisément de Roger Rouxel qu’à leur façon de persister dans le présent. Montrer que leur combat n’est pas « passé » mais qu’il est lié aux luttes présentes et futures, c’est là l’enjeu fondamental de la série, les cinq autres films étant des créations collectives réalisées avec des habitants de l’Isle d’Abeau à partir de ce premier film « Roger Rouxel » et du poème éponyme d’Armand Gatti.
Le mélange des genres et des temporalités permet dans les deux films de dépasser un certain nombre de clivages : entre présent et passé, mais aussi entre réalisme et témoignage d’un côté, poésie et imaginaire de l’autre. On retrouve d’une certaine façon l’écriture des possibles appliquée au cinéma : elle permet dans Roger Rouxel de « donner quelques instants de plus à vivre » au jeune résistant fusillé, dans Le Passage de l’Ebre de mettre en scène le choix possible de l’engagement politique ou du renoncement. Les deux scénarios sont construits autour d’une idée de la frontière et de son dépassement, d’une certaine forme d’exil, davantage sur un plan temporel dans Roger Rouxel et sur un plan plus spatial dans Le Passage de l’Ebre.
Roger Rouxel prend une forme éclatée qui ne cesse d’opérer des allers-retours entre le passé, tel qu’il subsiste à travers diverses traces (images d’archives, lettre du résistant à Mathilde, etc.), et le présent des lieux et des témoignages. A cent lieues de la commémoration, Gatti confronte différents temps, différents types d’images, différents niveaux d’histoire (celle de l’individu Rouxel, celle du groupe Manouchian dont il fait partie, et celle de la société française des années quarante). Dans son ouvrage L’épreuve du réél à l’écran, François Niney écrit à propos de Chris Marker, dont Gatti fut d’ailleurs assistant sur Lettres de Sibérie : « Ne pas tomber dans le passé simple, définitif, de la commémoration ». C’est une formule qui s’applique assez bien à ce film.
Le Passage de l’Ebre présente également une structure complexe. Il y a d’abord un prologue à la forme elle aussi éclatée, qui rend compte du cas de conscience du personnage hésitant à rentrer en Espagne : images figées, montage à base de coupures de journaux, voix off prenant le personnage à parti, c’est une séquence assez expérimentale qui revient sous différentes variantes à différents moments du film. Suit une seconde partie assez longue et réaliste où l’on suit Aguirre puis son fils dans leur travail d’égoutier, jusqu’à l’accident et la découverte des corps. Plus loin le film bascule dans une séquence onirique où Aguirre devient le « roi d’un jour » de la société de consommation dans une parodie d’émission télévisée. En passant par ces différents régimes, le film creuse la réalité qu’il met en scène : il décrit « objectivement » la condition ouvrière, et rend compte de la subjectivité du personnage, à travers ses fantasmes et ses questionnements. Le rapport à la fiction se modifie donc en cours de film, et c’est dans les séquences les plus documentaires, celles qui rendent compte du quotidien d’un égoutier, que le spectateur se trouve paradoxalement le plus immergé dans la fiction : il adhère au récit et un certain suspense se crée même lors de l’accident du fils. Au contraire, dans les scènes oniriques, le cadre fictionnel se fait davantage sentir et une distance se crée par rapport au récit.Dans les passages plus expérimentaux transparaît le processus d’écriture du film, notamment lorsque des extraits du scénario rectifié apparaissent à l’écran et que le film évoque des pistes d’écriture finalement écartées, les multiples « possibles » de l’œuvre.

On retrouve un peu cette mise à nu du processus de création dans Le Lion, sa cage et ses ailes, première série vidéo d’Armand Gatti réalisée en 1976 avec des ouvriers immigrés de Montbéliard, et qui fait partie des expériences d’écriture collective du cinéaste avec La Première lettre, et dans le champ de la fiction Nous étions tous des noms d’arbre. Le film laisse percevoir l’étendue des possibilités que le résultat final ne peut pas contenir, en évoquant par exemple les 31 scénarios non réalisés par la communauté marocaine, ou en évoquant à plusieurs reprises des propositions non retenues. L’intérêt est ainsi porté sur la démarche globale du film davantage que sur les scènes en elles-mêmes.
Il s’agit de réaliser un film non pas « sur » mais « avec » les ouvriers immigrés des usines Peugeot. Il s’agit aussi de faire émerger le langage propre d’une communauté, dans ce qu’on peut qualifier d’expérience autogestionnaire où chaque participant est invité à devenir créateur, de la même façon que la pensée libertaire incite les individus à devenir acteurs de leur propre vie en cessant de déléguer leurs choix à des professionnels de la politique, et en trouvant leur langage propre.
L’enjeu pour Gatti est aussi de ne pas réduire les gens à leur statut social en les filmant à la façon d’un reportage mais de s’intéresser plutôt aux images qu’ils parviennent à créer eux-mêmes à partir de leur vie quotidienne, à travers différentes créations, affiches, sculptures, etc. La confrontation entre le langage poétique de Gatti et le langage trouvé par les différents participants produit une forme d’expression multiple, où chaque expression multiplie celle des autres. Et comme dans tous les films du cinéaste, c’est par ce rapport original entre l’imaginaire, la poésie, la fiction d’un côté et une dimension documentaire de l’autre, l’évocation de luttes ou de réalités concrètes, que se manifeste l’anarchisme de Gatti, sa volonté de relayer les luttes contre le pouvoir sans se soumettre au « Réel », et en ayant recours pour cela à la poésie.
Gatti est parvenu d’une certaine façon à dépasser les clivages entre art social et expérimentation formelle, ce qu’il exprime lui-même ainsi :

« Nous ne pouvons pas admettre un art qui ne soit qu’esthétique, pour nous c’est une capitulation, nous ne pouvons pas non plus admettre un art qui soit social dans l’idée sans que ce soit traduit dans sa forme et dans sa vie de la même façon, d’une façon libératrice. »
(GATTI Stéphane, SEONNET Michel, Gatti, journal illustré d’une écriture, Artefact, 1987, p.22)

Clip Morgon – Catacomb ov Ghouls

Clip du groupe Morgon, death metal : http://morgon999.bandcamp.com/
Réalisation/montage : Charlotte Cayeux

Sélections :

01/2016 : International Music Video Underground (USA)
08/2015 : FARCUME, festival international de courts-métrages de Faro (Portugal)
07/2015 : Short of the Month
10/2014 : Music Malt Online Fest – 2014
10/2014 : NYC Indie Film Fest (USA)
05/2014 : Salon International de la Luz (Colombie)
04/2014 : Dada Saheb Phalke Film Festival (Inde) – Mention spéciale du jury
03/2014 : Shorts Film Forum – 14 (Inde) – Mention spéciale du jury

Trois aventures inédites de Tapi

Une voyante qui abuse ses clients, un homme dominé par un TOC qui ne parvient pas à quitter son bureau, des enfants dans des corps d’adultes. Trois histoires autour du corps.

Année : 2013
Durée : 14’30
Genre : fiction / film à sketches
Scénario et réalisation : Charlotte Cayeux
D’après une idée de Julie Cayeux
Avec : Boureima Ouedraogo, Bintia Seck, Cyril Roullé, François Fillastre, Djamel Seck

Équipe technique :

Chef opérateur : Gurvan Hue
Cadre : Ceptik
Steadicam : Gurvan Hue
Son : Clément Llorca
Régie : François Fillastre, Nicole More, Julie Cayeux
Montage image : Charlotte Cayeux
Montage son – mixage – bruitages : Laure Montagnol
Étalonnage : Sylvain L’Huillier
Trucages : Léo Ghigo

Sélections :

- 04/2017 : Moki Courts (Moki Bar, Paris)
- 01/2017 : L’Abra fait court (l’Abracadabar, Paris)
- 10/2016 : IndieWise (online festival)
- 04/2016 : Ozark Shorts (USA)
- 02/2016 : Projection de courts-métrages du Ciném’Art’Di au Truc de Montreuil (Paris)
- 08/2014 : Rencontres Images Captées (Rochechouart)
- 06/2014 : festival des à-côtés (Lyons-la-Forêt)
- 09/04/2014 : soirée de projection Les bobines du Loup au Lou Pascalou (Paris)
- 02/2014 : Noida International Film Festival (Inde)
- 12/2013 : Peloponnesian International Film Festival (Grèce)
- 12/2013 : Mumbai Shorts International Film Festival, Mention spéciale du jury (Inde)
- 09/2013 : Bristol Encounters Short Film Festival (Angleterre)

Autres diffusions :

- 09/02/2017 : diffusion sur Télé Bocal
- 19/12/2014 : projection à Louviers à la médiathèque Boris Vian pour « Le Jour le plus court »
- 15/02/2014 : diffusion dans le cadre d’une soirée de projection organisée par l’association SOSCINE au club de l’Etoile
- 02 au 08/02/2014 : participation au marché du film court de Clermont-Ferrand
- 11/2013 : participation au marché du film Shortlatino dans le cadre du festival Alcine43 (Espagne)
- 14/04/2013 : projection au Houla Oups (Paris)